Analyse de Mearsheimer et Walt sur l’accusation d’antisémitisme comme arme contre les détracteurs d’Israël

John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt sont les auteurs du fameux livre : Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, paru aux éditions La découverte en France, et qui a fait couler tant d’encre dans les cercles avertis et dans les milieux confrontés de près ou de loin, au malheur palestinien. Il est extrêmement riche, de très bonne qualité pour que je daigne vouloir le résumer sur B.I. (ça serait trop long et je ne suis pas assez bon dans cet exercice, non plus). Je ne peux que vous inviter à le lire si vous voulez comprendre pourquoi nous baignons dans un tel climat de paranoïa de la communauté juive, convaincue que derrière toute critique d’Israël se terre un antisémite.

Taxez toute personne d’antisémitisme et vous en faites un paria. La liste des antisémites révélés par les organisations communautaristes  juives est phénoménale et clairement irrationnelle. Ce livre fait partie de ces classiques que la plupart des gens prétendent avoir lu. Mais s’ils l’avaient vraiment lu, ils s’interrogeraient sur leur déontologie, leur éthique; ou leur propre lâcheté ou aveuglement (Goy ‘gentil’ ou juif), s’assumeraient davantage (en tant que lâche ou tribaliste) ou changeraient d’opinions (on a le droit de critiquer Israël). Ce phénomène ayant pris pied en France, il était important de faire comprendre aux gens qu’ils n’ont plus à se laisser manipuler par ces accusations très commodes qui évitent tout raisonnement et sacralisent l’émotion et l’émotivité.

Mearsheimer et Walt décryptent avec beaucoup de finesse cette astucieuse mise au pilori. Après les avoir lus, vous ne vous laisserez plus blouser par ces petitesses, qui disent davantage de l’état d’esprit de ceux qui les éructent à longueur de journée à chaque fois qu’ils sont confrontés à leurs propres faiblesses argumentatives. Antisémite ? Moi ?

Qui se sente morveux, se mouche.  

 

 

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Cependant, on continue d’avoir recours à l’accusation d’antisémitisme comme arme contre les détracteurs d’Israël, notamment aux États-Unis. Cette tactique s’est révélée très efficace pour plusieurs raisons. D’abord, l’antisémitisme représente un ensemble de croyances qui ont causé d’effroyables souffrances dans le passé, et qui ont conduit aux crimes monstrueux de l’Holocauste. Aujourd’hui la plupart des secteurs de la société rejettent intégralement ces croyances. L’accusation d’antisémitisme est la plus grave que l’on puisse adresser à quelqu’un  aux États-Unis. Nul ne souhaite voir sa réputation  entachée par une telle marque d’infamie. Il va sans dire que ce genre de menaces décourage beaucoup de gens d’exprimer publiquement leurs réserves sur l’attitude d’Israël ou le soutien américain.

Ensuite, l’accusation d’antisémitisme permet de marginaliser certaines personnes dans l’espace public. Si l’accusation porte, les médias, les membres du gouvernement et le reste de l’élite ne prêteront aucune attention aux arguments contre Israël. Et les groupes qui auraient été tentés de leur accorder un certain crédit se sentiront découragés. Ce sont surtout les politiciens qui y réfléchiront à deux fois avant de s’afficher avec la moindre personne accusée d’antisémitisme, car cela pourrait avoir un effet désastreux sur leur carrière.

Enfin, cette tactique fonctionne parce qu’il est très difficile de prouver de manière définitive que l’on n’est pas antisémite, surtout quand on critique Israël ou le lobby. Fournir la preuve du contraire est, d’une manière générale, un exercice difficile, a fortiori quand sont en cause des phénomènes aussi insaisissables que les intentions ou les motivations. Et mettre en avant d’autres déclarations montrant bien que l’on n’est pas antisémite ne servira sans doute pas à grand-chose. Ainsi, jusqu’à récemment, l’accusation d’antisémitisme a été une arme efficace pour empêcher que les critiques d’Israël ou du lobby n’atteignent le grand public, et, si c’était le cas, permettre qu’elles soient ignorées ou dénigrées.

L’accusation est susceptible de recueillir un certain écho chez les Juifs américains, qui sont nombreux à croire que l’antisémitisme est encore un fait très répandu. L’histoire des Juifs de la Diaspora est suffisamment édifiante pour nourrir cette angoisse, largement accentuée par le rôle que joue la mémoire de l’Holocauste chez beaucoup de Juifs américains. Ainsi que l’a montré Peter Novick dans son grand livre L’Holocauste dans la vie américaine, cet événement traumatique est devenu un élément fondamental de la conscience juive américaine. Non seulement il structure la vision du monde de nombreux Juifs américains mais, comme on peut le comprendre, il a aussi entretenu un sens aigu de la persécution chez certains d’entre eux. Malgré la grande réussite sociale de la communauté juive en Amérique, de nombreux Juifs américains craignent qu’à tout moment un antisémitisme virulent puisse refaire surface. > L’éditorialiste du New York Times Frank Rich admet partager cette opinion : >

Cette peur profondément ancrée chez les Juifs américains est apparue au grand jour lorsque Israël a été âprement critiqué de par le monde au printemps 2002. Nat Hentoff, qui écrit pour le Village Voice, a déclaré à cette époque : >. Ron Rosenbaum a affirmé dans le New York Observer qu’ >. Cette inquiétude a pris une telle ampleur que l’hebdomadaire New Republic a cru devoir mettre en une ce titre d’un article de Leon Wieseltier, lui-même très engagé dans la défense d’Israël : >. Pour décrire la situation des Juifs aux Etats-Unis, il écrivait ceci : > En résumé, de nombreux Juifs américains n’auront aucune peine à croire qu’une personne (surout si elle n’est pas juive) qui critique les actions d’Israël ou l’influence de groupes tels que l’AIPAC est sans doute antisémite.

Pour toutes ces raisons, face à la moindre critique de la politique israélienne, certains de ses défenseurs s’empressent de lancer l’accusation. L’exemple le plus frappant qui vient à l’esprit, c’est celui de la réaction véhémente qu’a suscitée le vitre de l’ancien président Jimmy Carter, Palestine : Peace Not Apartheid. En dépit de son titre provocateur, il ne s’agit pas d’un livre polémique et il n’ignore pas les difficultés stratégiques d’israël. Certes, Carter déplore l’occupation israélienne de la Cisjordanie et ses conséquences sur la vie quotidienne des Palestiniens, et il observe à juste titre qu’il est difficile d’en débattre ouvertement aux Etats-Uni. Mais, comme le remarqua Yossi Beilin, un responsable politique israélien de premier rang, >. Même le terme d’ > – qui semble avoir été pour beaucoup dans la colère que le livre a provoquée – est utilisé par les Israéliens opposés à l’occupation et par des personnalités sud-africaines comme le prix Nobel de la paix Desmond Tutu et le ministre du Renseignement Ronnie Kasrils.

Comme nous l’avons indiqué, l’ADL et CAMERA ont attaqué le livre de Carter en s’offrant de grands encarts publicitaires dans les grands quotidiens du pays, et, si certains se sont attachés à critiquer le contenu de ses propos, d’autres ont tout de suite attaqué personnellement l’ancien président. Abraham Foxman a déclaré : > Pour Martin Peretz, >. Deborah Lipstadt, l’historienne qui a remporté un procès marquant contre le négationniste David Irving, a écrit dans le Washington Post que >. Pour elle, il y avait une impressionnante ressemblance entre les positions de Carter et celles de l’ancien chef du Ku Klux Klan, David Duke. Carter confiait ainsi : > Quelle étrange réaction au livre d’un homme qui , par sa gestion du processus de paix entre Israël et l’Égypte, a contribué, plus que quiconque, à renforcer la sécurité de l’État hébreu.

Un article de l’ancien néoconservateur Francis Fukuyama a déclenché une réaction du même type – à une plus petite échelle. L’article critiquait l’intervention de Charles krauthammer à la sessions 2004 du séminaire Irving Kristol qui s’est tenu à l’American Enterprise Institute. La critique de Fukuyama était acérée mais respectueuse (entre autres, il considérait Krauthammer comme un > dont les idées >). ais, pour lui, l’opinion de Krauthammer sur la meilleure façon de gérer le monde musulman s’inspirait trop de l’expérience israélienne. Une telle suggestion a conduit Krauthammer à accuser Fukuyama d’antisémitisme.

Nous n’avons pas non plus échappé à ce genre d’attaques. Lrsque notre article sur le >  &r& publié dans la London Review of Books en mars 2006, beaucoup nous ont accusés – à tort – d’être des antisémites. Eliot Cohen a publié un éditorial dans le Washington Post intitulé > et le New York Sun nous a immédiatement comparés à David Duke. L’ADL a défini notre article comme fondé sur >. L’article passait sous silence ce que nous disions pourtant explicitement dans le texte, à savoir que le lobby n’est qu’un groupe d’intérêts parmi d’autres, qui tous exercent une activité politique parfaitement légitime. Quand à la New Republic, elle publia quatre articles qui tous considéraient notre article comme un texte antisémite. Dans le Wall Street Journal, William Kristol nous a accusés d’ > et Ruth Wisse, professeur de littérature yiddish à Harvard, a comparé notre essai à ceux qu’un Allemand notoirement antisémite avait publiés au XIXe siècle. Dans sa critique du livre de Jimmy Carter, Shmuel Rosner de Ha’aretz a eu la bonté d’affirmer que l’ancien président et prix Nobel de la Paix n’était >.

La tendance à accuser d’antisémitisme ceux qui désapprouvent la politique israélienne a atteint des sommets (ou plutôt est tombée au plus bas) début 2007, lorsque l’American Jewish Committee a publié un texte d’Alvin H. Rosenfeld, professeur à l’université dIndiana, intitulé >. Rosenfeld identifiait un groupe de Juifs libéraux américains (dont le dramaturge Tony Kushner, l’historien Tony Judt, la poétesse Adrienne Rich et l’éditorialiste du Washington Post Richard Cohen) critiques à l’égard d’Israël et les accusait d’être les compagnons de route d’un nouvel antisémitisme qui niait le droit d’Israël à l’existence. Dans un avant-propos au texte, le directeur de l’Americain Jewish Committe, David harris, écrivait : >

Les personnes mises en cause ont repoussé ces accusations avec véhémence. Le rabbin Michael Lerner de Tikkun a souligné les conséquences que pouvaient avoir de telles allégations. >

Dans toutes ces affaires, aucune preuve d’antisémitisme n’a été apportée. le véritable antsémitisme considère les Juifs comme un peuple différent et inférieur aux autres, ce qui justifie, aux yeux de ces derniers, de les isoler et de les persécuter à une plus ou moins grande échelle. L’antisémitisme affirme que les Juifs qui participent à des activités politiques apparemment légitimes – comme se présenter à des élections, faire des dons pour des campagnes électorales, écrire des livres et des articles, ou organiser des groupes de pression – sont en fait impliqués dans d’obscures conspirations. Les vrais antisémites cherchent parfois à restreindre les droits politiques des Juifs et réclament parfois certaines persécutions encore plus violentes. Même dans ses formes >, l’antisémitisme se laisse aller à diverses formes de caricature. Il véhicule à la fois suspicion et mépris à l’égard es Juifs, et cherche à leur refuser l’accès à une participation pleine et entière à la vie sociale. Dans son essence, le véritable antisémitisme ressemble  à d’autres formes de discriminations raciste ou religieuse, qui ont toutes été fermement condamnées en Europe et aux États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

A l’inverse, presque tous ceux – Juifs ou non – qui critiquent aujourd’hui la politique d’Israël ou s’inquiètent de l’impact de l’action du lobby sur la politique étrangère des Etats-Unis trouvent de telles opinions extrêmement choquantes et les rejettent complètement. Pour eux, les Juifs ne sont pas différents du reste de l’humanité, ce qui signifie qu’ils sont capables du meilleur comme du pire, et qu’ils méritent le même statut que tous les autres membres  de la société. Ils pensent aussi qu’Israël se comporte comme les autres Etats : il défend vigoureusement ses propres intérêts et il conduit des politiques parfois justes et sages, parfois insensées d’un point de vue stratégique, voire immorales. C’est tout le contraire de l’antisémitisme. Il s’agit de traiter les Juifs comme n’importe qui et de traiter Israël comme un Etat légitime et semblable à tous les autres. Dans cette perspective, il convient de faire l’éloge d’israêl quand il agit bien, et de le critiquer quand ce n’est pas le cas. Les Américains devraient aussi pouvoir exprimer leur indignation et leur désaccord quand le comportement d’Israël devraient se sentir libres de le critiquer quand ils jugent que son gouvernement privilégié ou d’un > ? De même, la plupart des détracteurs du lobby ne pensent pas qu’il participe d’une cabale ou d’une conspiration. Au contraire, ils affirment – comme nous – que les organisations pro-israéliennes  agissent comme n’importe quel autre groupe d’intérêts. Même si l’accusation d’antisémitisme peut se révéler une tactique efficace de disqualification, elle est la plupart du temps sans fondement.

De fait, il semble que la tendance à recourir systématiquement à l’accusation d’antisémitisme perd peu à peu de son efficacité pour contrôler les débats. Les attaques contre le livre de Jimmy Carter n’ont pas dissuadé son auteur d’en assurer la promotion auprès d’un très large public (il a notmment fait une prestation brillante et remarquée à l’université de Brandeis). Un certain nombre de grandes personnalités publiques et de publications populaires ont récemment proposé des critiques intelligentes de la politique israélienne et de l’influence du lobby. Même William Kristol semble reconnaître que traiter les adversaires de la politique israélienne d’antisémites ne suffit plus à les faire taire. Il a écrit dans le Wall Street Journal que >. Cela s’explique évidemment par le fait que de plus en plus de gens se rendent compte que cette accusation sérieuse est adressée à des individus qui ne sont pas antisémites mais qui contestent simplement les mesures israéliennes ou qui regrettent que le lobby défende des politiques parfois contraires à l’intérêt de la nation américaine.

Pages 209 – 214

 

 

Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine

John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt

Ed. La découverte

 

 

 

Osez le bon sens !

YDM

 

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